On commémorera cette année le centième anniversaire du génocide arménien perpétré par la Turquie. Tandis qu’Ankara refuse de le reconnaître, malgré une avancée bienvenue, les relations turco-arméniennes sont au cœur d’une géostratégie régionale délicate.
François Hollande l’a confirmé. Le 24 avril prochain, il se rendra bien à Erevan, la capitale arménienne, afin de participer au centenaire des commémorations du génocide arménien. Depuis qu’il est au pouvoir, force est de reconnaître au chef de l’Etat un militantisme farouche pour l’apaisement des relations entre l’Arménie et son voisin turc. A ce titre, il avait salué, lors d’un déplacement à Erevan, le geste d’Ankara qui, en 2014, avait voulu « s’associer à la commémoration et aux souffrances vécues par le peuple arménien », tout en reconnaissant qu’il ne s’agissait que d’un « premier mouvement ». Aujourd’hui, François Hollande attend et espère la reconnaissance sans équivoque par la Turquie du génocide perpétré en 1915 sur le peuple arménien. Problème, s’il se prononce avec fermeté sur le sujet, côté azerbaïdjanais, les voix se font de plus en plus nombreuses qui aimeraient qu’il en fasse de même avec un autre évènement tragique : les exactions commises par les Arméniens à l’encontre des Azerbaïdjanais.
Une reconnaissance internationale tardive
Si l’Histoire a retenu, pour le devoir de mémoire collective, cette année comme point de départ du processus d’extermination, la « question arménienne » était arrêtée depuis plusieurs années. Certains font même remonter ses esquisses à la défaite turque face à la Russie, lors de la guerre de 1877-1878. Le traité de San Stefano, signé non loin d’Istanbul en mars de cette même année, prévoit une réorganisation totale des territoires ottomans ; l’Arménie, dont une partie revient à l’Empire russe, obtient, pour la portion conservée par l’Empire ottoman, la mise en place de réformes assurant la protection de sa population. Or, non seulement celles-ci ne seront pas appliquées, mais les Turcs au pouvoir redoutent le désir d’indépendance de l’ethnie arménienne. Leur haine à l’égard de cette minorité, qui nait sur ce fondement, sera cristallisée par la célèbre déclaration du Grand Vizir : « Nous supprimerons donc et ferons disparaître à jamais le peuple arménien ».
Au final, le bilan est (re)connu de tous – ou presque –, plusieurs centaines de milliers d’Arméniens sont déportés et anéantis. Au lendemain de la Grande Guerre, si le terme génocide – néologisme qui sera créé à l’issue d’un autre moment tragique de l’Histoire – n’est pas écrit noir sur blanc, la presse internationale – américaine surtout – s’indigne des massacres perpétrés dans l’ex-Empire ottoman. Il faut attendre 1965 pour qu’un pays, l’Uruguay en l’occurrence, reconnaisse le génocide ; un rapport de l’ONU daté de 1985, qui qualifie comme tel le massacre des Arméniens, incite ensuite d’autres Etats – ou organisations – à faire de même. Le Parlement européen, en 1987, est ainsi l’un des plus prompts à régir, avant qu’une ribambelle de gouvernements ne l’imitent. La France, on s’en souvient, adoptera une loi en 2001 pour reconnaître le génocide arménien, malgré la parution d’un article quasi-testamentaire du doyen George Vedel critiquant les lois mémorielles.
« Il est temps de briser les tabous » (François Hollande)
Conscient qu’il reste du chemin à parcourir, François Hollande reste néanmoins « convaincu que cette année du centenaire verra de nouveaux gestes, de nouvelles étapes sur le chemin de la reconnaissance ». Tandis que, fin janvier 2015, se tenait le dîner annuel du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France, le président de la République, endossant le costume du médiateur – qui, faut-il l’avouer, lui sied assez bien –, a estimé qu’il était « temps de briser les tabous et que les deux nations, Arménie et Turquie, inventent un nouveau départ ». Seulement, les autorités des deux pays doivent agir de concert, et ne pas se soumettre à la facilité de la critique destructive de l’autre. En effet, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, avait présenté les condoléances de son pays aux petits-enfants des Arméniens tués en 1915 ; Erevan les avait rejetées et réclamé le reconnaissance pure et simple du génocide.
Les deux pays voisins, malgré l’avancée certaine que constituent les déclarations de l’ancien Premier ministre turc, avancent donc encore à couteaux tirés. Pourtant, plus qu’une « simple » reconnaissance d’un fait historique – dont la tragédie ne doit aucunement être remise en cause –, cette exigence de l’Arménie s’inscrit dans un climat éminemment sensible d’un point de vue géopolitique. La région du Caucase du Sud rencontre d’autres situations diplomatiques conflictuelles, notamment concernant le Haut-Karabagh, région azerbaïdjanaise colonisée par l’Arménie. L’Azerbaïdjan – le plus grand des trois pays sud-caucasiens – et l’Arménie sont enlisés depuis plus de vingt ans dans une lutte territoriale, à propos de cette enclave azerbaïdjanaise désormais composées en grande majorité d’Arméniens. Le cessez-le-feu signé en 1994 pâtit des multiples violations perpétrées de part et d’autre ; le bilan, depuis le 1er janvier 2015, s’éleve ainsi à une vingtaine de morts. Le bilan est particulièrement lourd côté azerbaïdjanais. Depuis le début du conflit il y a 25 ans, on compte 250 000 réfugiés en provenance d’Arménie, et 750 000 déplacés internes, issus des territoires azerbaïdjanais occupés.
François Hollande devra, lors de son voyage à Erevan en avril prochain, avoir à cœur de faire avancer le dossier. Il est probable qu’il doive là aussi se montrer ferme, et reconnaitre sans équivoque la douleur du peuple azerbaïdjanais. Parfois, dans les relations internationales, une seule phrase suffit pour dénouer l’indénouable.