Ramzan Kadyrov, l’actuel président de la République fédérée tchétchène, inféodée à Moscou, est souvent perçu comme l’homme de main du Kremlin. Mais cette situation de subordination n’est peut-être pas aussi simple et unilatérale qu’il n’y paraît.
Si Vladimir Poutine devait avoir un jumeau au sein de la Fédération de Russie, le nom de Ramzan Kadyrov serait certainement avancé. Mêmes ascension fulgurante, conception du pouvoir, le parfait emploi du double discours : l’actuel président de la République de Tchétchénie, certes moins médiatique – à tort –, demeure l’une des figures les plus impressionnantes de l’ex-URSS. Ces derniers mois, les caméras ont néanmoins commencé à se braquer sur lui. Entre la prolifération – les soupçons se sont envolés depuis longtemps – des forces armées tchétchènes en Ukraine et, très récemment, la participation d’un Russe originaire de Tchétchénie à l’assassinat de Boris Nemtsov, la figure et le nom de Ramzan Kadyrov reviennent régulièrement. Et sont en général associés aux termes « meurtre » ou « despotisme ».
C’est d’ailleurs la mort, celle de son père, qui lui permet, indirectement, d’accéder à la charge suprême de cette région fédérée à la Russie. Akhmad Kadyrov, élu à la présidence de la République tchétchène en 2003, était également mufti en son pays ; un titre dont il n’a pas su assumer la charge – ou mal interprété la dangerosité. Il est assassiné lors d’une conférence à Grozny, la capitale, par des islamistes tchétchènes – bien que l’ombre de Moscou plane également. Lui qui avait défendu l’indépendance de son pays lors de la première guerre de Tchétchénie, s’était ensuite rallié au camp prorusse ; une trahison qui lui aurait été fatale.
Son fils cadet, Ramzan Kadyrov, est propulsé en tant qu’héritier politique et idéologique ; une charge qu’il accepte aveuglément, lui qui a toujours souhaité lui ressembler. Il jouit alors d’une aura naissante mais, surtout, d’une manne financière importante : Akhmad Kadyrov avait su faire venir les investisseurs en Tchétchénie en leur assurant stabilité et développement. Mu par le désir de perpétuer le rôle éminent de son défunt père, Ramzan n’hésite pas à bouder les célébrations funéraires et convoque un conseil de guerre, au cours duquel les forces armées tchétchènes lui prêtent allégeance. Le tout nouveau vice-Premier ministre s’engage alors dans une politique de neutralisation de l’adversité. Le chef du gouvernement en place, Sergueï Abramov, perd petit à petit le soutien de Moscou ; Kadyrov s’emploie à discréditer – pour ne pas dire tuer, au sens politique du terme pour l’instant – ses adversaires. Même l’ancien compagnon de son père, Taous Djabraïlov, en fait les frais. En 2007, après être apparu aux yeux du Kremlin comme digne d’occuper le siège de la présidence – sous-entendre : être assez malléable, mais comment pourrait-il en être autrement –, Ramzan Kadyrov est nommé à ce poste par Vladimir Poutine, alors président russe.
Bien avant sa nomination, il avait su jouer sur plusieurs tableaux à la fois. Et là où son père avait peut-être échoué, lui prospère. Pour les musulmans de son pays – majoritairement sunnites –, il incarne le défenseur de la foi : dès 2006 et l’affaire des caricatures de Mahomet, il interdit la présence sur le sol national des ONG danoises ; en 2015, après les attentats de Paris contre le journal satyrique Charlie Hebdo, il prend la tête de l’une des plus grandes manifestations pour dénoncer les nouvelles injures faites, selon lui, à la foi musulmane. Kadyrov le farouche nationaliste qui prône l’islamisation des mœurs, se montre également sous un jour plus complaisant à l’égard de la Russie. En public en tout cas. Les déclarations prorusses et fédéralistes se joignent aux dénonciations du wahhabisme ; il s’affiche ouvertement avec le chef du Kremlin.
Si bien qu’aujourd’hui, on soupçonne la Tchétchénie de n’être qu’une main – armée, la plupart du temps – de Moscou. En Ukraine, notamment, mais également, de manière plus confuse, dans l’assassinat de l’opposant russe Boris Nemtsov. Le meurtre a d’ailleurs toujours été l’arme politique de ce véritable monarque tchétchène : journalistes, défenseurs des droits de l’homme et, plus largement, contestataires d’un pouvoir autoritaire et despotique risquent leur vie. Les deux journalistes Anna Politkovskaïa, qui dénonçait le droit de vie et de mort sur ses sujets de Kadyrov, et Natalia Estemirova, ont toutes deux été assassinées, avec la bénédiction de Moscou, d’après certaines sources. Ce qui n’est pas sans jeter un voile sombre sur les liens du sang entre le Kremlin et son – apparemment – subordonné tchétchène.