Alors que les relations entre l’Ukraine et la Russie se crispent, le pays de Porochenko se cherche de nouveaux partenaires en affaires. Après l’Azerbaïdjan, il pourrait se tourner vers le Turkménistan, dans le cadre d’un contrat gazier négocié par l’homme d’affaires ukrainien Dmytro Firtash. Une manœuvre qui ferait du bien à Kiev, et confirmerait son intérêt pour les autres anciens pays du bloc soviétique.
L’Ukraine poursuit depuis le mois de mars des négociations avec ses créanciers en vue d’obtenir la restructuration d’un montant de 15,3 milliards de dollars, car le pays est au bord du défaut de paiement. Dans ces circonstances, le parlement ukrainien a voté il y a quelques jours une loi qui donne le droit à l’Etat de cesser les remboursements de sa dette étrangère en cas de besoin. Le FMI estime indispensable que l’Ukraine économise plus de 15 milliards de dollars entre 2015 et 2018. La dette extérieure ukrainienne se montant à 23 milliards (soit 94 % du PIB), quinze milliards représenteraient une décote importante pour les créanciers. Dès cette année, l’Ukraine doit rembourser plus de huit milliards d’euros de créances obligataires dont trois milliards à la Russie.
Cette crise n’est pas sans impact sur la vie de tous les jours dans le pays. L’inflation dépasse 60 %, sur un an la monnaie a été dévaluée à près de 70 % par rapport au dollar, le PIB est en chute libre, et les exportations quasi nulles. Dans le pays, les produits de première nécessité manquent tellement que le gouvernement a décrété des mesures de rationnement à partir du 25 février. En Ukraine, la part de l’économie souterraine a augmenté l’année dernière de 7 points de pourcentage, atteignant 42% du produit intérieur brut (PIB) du pays, a révélé le ministère ukrainien de l’Economie vendredi. Selon le ministère, l’évasion fiscale, le travail au noir et les revenus dissimulés provenant d’opérations monétaires sont les principales composantes de cette économie informelle.
L’Ukraine n’attire plus les investisseurs. C’est le constat dressé par le patron de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), Francis Malige, lors de l’assemblée annuelle à Tbilissi. « Aujourd’hui, les gens qui regardent l’Ukraine pour investir sont dans l’attente parce que personne ne sait exactement comment le pays va restructurer sa dette. » Face à l’urgence d’entrée de fonds, une des priorités du pays devrait être de soutenir par tous moyens les entreprises ukrainiennes, mais à cause de rivalités de pouvoir entre les principaux oligarques et le nouveau régime, Kiev a tourné le dos à plusieurs initiatives pourtant salutaires pour le pays. Dmyto Firtash, homme d’affaires confirmé, s’est ainsi illustré en décidant de prendre le taureau par les cornes en lançant l’Agence de Modernisation de l’Ukraine (AMU) – sorte de plan Marshall sur mesure afin de collecter des fonds et organiser la réconciliation par le biais des affaires.
Mais le principal obstacle à la relance économique du pays est le fait d’avoir perdu son principal partenaire économique : la Russie. Pour remédier à la situation, plus que jamais, l’Ukraine doit trouver de nouveaux partenaires. L’UE, malgré l’Accord d’association passé avec Kiev, gade les pieds froids, et en l’état le seul commerce avec l’Europe – en plus de provoquer la colère du Kremlin – n’est pas suffisant. En conséquence, un certain nombre d’initiatives ont été entreprises pour trouver avec qui faire affaire au sein de l’ancien bloc soviétique. Ainsi Mammad Musayev, le Président de la Confédération azerbaidjanaise des entrepreneurs a signé un accord de coopération avec nul autre que Dmytro Firtash. Ce document vise à renforcer la coopération commerciale entre les deux hommes, ainsi que développer une activité conjointe dans certains secteurs clé. La Confédération azerbaidjanaise des entrepreneurs et la Fédération des employeurs d’Ukraine – que dirige Firtash – prévoient également une coopération accrue.
De la même façon, Firtash est pressenti pour prendre en main le dossier Turkmène. Kiev ne fait pas de secret sur sa volonté de sortie de sa dépendance énergétique vis-à-vis du géant russe Gazprom, de loin le plus important fournisseur du pays. Aussi, la visite du président Petro Porochenko au Turkménistan, fin mars dernier, est clairement un pas dans ce sens. Ce dernier a longtemps exporté de vastes quantités de gaz naturel vers la Russie. On estimait ces exportations à 45 milliards de mètres cube de gaz par an, jusqu’en 2009, où subitement Moscou a diminué ces échanges, pour atteindre un chétif 4 milliards annuel. Depuis, Achgabat (la capitale) n’a eu de cesse de chercher de nouveaux débouchés pour son gaz naturel. Si un tel accord ne sera possible sans l’utilisation des gazoducs de la société russe Gazprom, celle-ci a par le passé déjà travaillé avec Firtash, et ses capacités de négociateur semblent on ne peut plus adaptées à la tâche.
Dans le marasme actuel, peu de voix semblent s’élever avec assez de clarté pour s’imposer. En étant perpétuellement à la pointe du changement dans un pays où les pronostics sont herculéens, Firtash montre qu’il est une des figures incontournables de la reconstruction ukrainienne. Fin bretteur et connaisseur de la région qui a vu sa fortune naître, il semble déjà avoir convaincu à l’extérieur de son pays (son AMU a récolté le soutien de l’ancien ministre des finances allemand Peer Steinbruck, Laurence Parisot, l’ancien Président sud-africain et prix nobel F.W. de Klerk ou encore Bernard Kouchner, pour ne citer qu’eux). Espérons que malgré le tumulte actuel, et les grandes pressions auxquelles il est soumis, le gouvernement ukrainien verra également en lui un allier. Il ne pourra en ressortir autrement que gagnant.
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