Depuis quelques mois, les pressions européennes et américaines sur l’Azerbaïdjan se sont intensifiées. Il est reproché à son gouvernement ses atteintes aux droits de l’homme et sa politique de répression des opposants. Les censeurs affectent d’ignorer que le pays est en guerre. Ces critiques sont devenues de plus en plus acerbes à l’approche et pendant les 1ers Jeux Européens de Bakou, qui se sont déroulés du 12 au 28 juin 2015 avec la participation de plus de 250 athlètes français. Aucun chef d’Etat ou de gouvernement européen n’était présent à l’ouverture. Comme le Président Poutine l’a finement fait remarquer au président Erdogan de Turquie: «Vous représentez à vous seul toute l’Europe».
Derrière ces griefs paraît se dissimuler chez les Européens l’insatisfaction de voir l’Azerbaïdjan se distancer du partenariat oriental. En effet, le Président de ce pays, Ilham Aliyev, absent du sommet de Riga (21-22 mai 2015) a refusé de signer le traité d’association car l’Union Européenne, dont le Représentant spécial pour le Caucase du Sud, qui double les efforts de l’OSCE pour régler le problème du Haut-Karabagh, n’a pas pris position sur l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. En fait, l’UE n’a jusqu’à présent pris aucune initiative constructive pour résoudre ce problème, alors qu’elle s’est impliquée en Bosnie, au Kosovo et en Ukraine. Le vice-président du parlement azerbaïdjanais Valekh Aleskerov a expliqué les réticences de son pays : «Nous exigeons qu’on nous traite en partenaires égaux en droits… L’Azerbaïdjan réclame la reconnaissance de son intégrité territoriale. Néanmoins, l’UE ne le fait toujours pas. »
A plusieurs reprises, l’Azerbaïdjan a exprimé sa déception devant le non aboutissement des efforts du groupe de Minsk de l’OSCE pour parvenir à un accord avec les Arméniens sur le Karabagh et il a suggéré que la coprésidence américano-russo-française soit élargie à la Turquie. Début juin, le gouvernement azerbaïdjanais a donné un mois à l’OSCE pour fermer son bureau de Bakou. Son représentant, un diplomate français chevronné, avait d’ailleurs été exposé aux reproches de l’ambassadeur américain auprès de l’OSCE pour être apparu publiquement aux côtés du président Aliyev et de son ministre des Affaires étrangères au lieu de se montrer avec des représentants de la« société civile», c’est-à-dire d’ONG critiquant le gouvernement. Autrement dit, le représentant du bureau de l’OSCE en Azerbaïdjan était réprimandé à cause de son objectivité et de son impartialité.
A Bakou, les scellés ont été apposés en décembre 2014 sur le bureau de Radio Free Europe, officiellement fermé en mai 2015, qui diffusait des informations systématiquement négatives sur le pays.
Face à l’offensive conjuguée des media euro-américains, Novrouz Mammadov, directeur des Relations extérieures de la Présidence de la République azerbaïdjanaise, déclarait le 19 juin : « Si vous êtes une petite nation musulmane et riche de surcroît, la défense de vos intérêts nationaux et ceux de l’Etat devient un défi encore plus grand. Si en plus vous voulez mener une politique étrangère indépendante, cela devient impossible; mais si vous êtes la cible de différents types de pressions et d’attaques de tous côtés, cela signifie que vous êtes dans la bonne direction ». Quelques jours après, il dénonçait une résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe critiquant le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbàidjan (24 juin). En effet, écrivait-il, « la position des institutions européennes, concernant notamment le conflit du Haut-Karabagh, démontre à l’évidence, qu’elles pratiquent « deux poids et deux mesures ». Malheureusement, l’Europe est encore incapable de comprendre les conséquences d’une telle politique. Le Conseil de l’Europe pose la question de la présence de l’Azerbaïdjan dans cette organisation. L’Union Européenne a déjà entraîné plusieurs agences des Nations Unies dans sa campagne contre l’Azerbaïdjan. Cette situation est de nature à forcer l’Azerbaïdjan à changer le vecteur de sa politique étrangère».
Ces déclarations n’avaient pas la valeur d’un communiqué officiel. Elles n’en reflètent pas moins l’inquiétude de beaucoup d’Azerbaïdjanais à propos des objectifs de l’Europe à un moment où celle-ci est empêtrée dans la crise grecque et où elle est embourbée dans le conflit ukrainien, illustration de cette politique de deux poids et deux mesures.
Déjà en janvier 2015, en réponse à un article du New York Times prenant à partie le président de 1’Azerbaïdjan, Ramiz Mehtiyev, chef de l’administration présidentielle, avait dans un long article dénoncé le « double visage de Barack Obama ».
Face à l’expression de ce ressentiment et aux préoccupations concernant les desseins des Etats-Unis, l’ambassadeur américain à Bakou a été amené, geste inédit dans les annales de la diplomatie, à publier le 9 juillet un communiqué pour démentir que l’ambassade était en train de monter un coup d’état et affirmer qu’elle nê donnait pas d’instructions ni ne finançait aucun parti politique en Azerbaïdjan. Il n’a pas mentionné les ONG.
La situation géopolitique de l’Azerbaïdjan est, on le sait, délicate et les enjeux sont considérables. En Turquie, le président Erdogan se trouve lui-même en difficulté. A Bakou, des conversations ont eu lieu à huis clos avec la participation de responsables russes des industries gazière et nucléaire. On sait que la Russie a réitéré son opposition à la construction d’un gazoduc transcaspien qui acheminerait le gaz turkmène vers l’Europe. Ce gaz, qui alimente principalement la Chine, pourrait être acheminé vers l’ouest via la Russie ou l’Iran et la voie turque. Il a été décidé de constituer un groupe de travail russo-azerbaïdjanais sur les problèmes de l’énergie.
On a remarqué à Bakou que les critiques occidentales avaient redoublé à la veille de ces pourparlers. Parmi les rumeurs, l’hypothèse a été formée que l’Azerbaïdjan pourrait adhérer à l’Union économique eurasiatique, voire à l’union douanière, au cas où serait réglé le problème du Karabagh. Il n’en fallait pas plus pour rappeler l’alliance des bolchéviks et de Bakou avec la Turquie kémaliste dans les années 1920. Vladimir Poutine a pour sa part beaucoup insisté sur une diversification des rapports bilatéraux avec l’Azerbaïdjan.
A Oufa, le 10 juillet, au sommet de l’Organisation de Shanghai, l’Azerbaïdjan a été accueilli comme «partenaire de dialogue>>. Cette ouverture vers l’Asie lui offre un cadre nouveau pour tenter d’aboutir à un règlement au Karabagh et la perspective d’accroître ses échanges et ses exportations de gaz vers la Chine dont les besoins sont appelés à encore augmenter. En fait, cette nouvelle orientation est d’ordre essentiellement politique. L’incompréhension de l’Europe pousse l’Azerbaïdjan à choisir d’autres alternatives.
Devant les attaques auxquelles son pays est exposé, le président Ilham Aliev a réagi publiquement à une résolution du parlement européen adoptée le 10 septembre, qu’il a qualifiée de «provocation politique basée sur des mensonges». C’est pourquoi la coopération entre l’Azerbaïdjan et les organes du parlement européen a été suspendue. «Aucune force extérieure ne peut influencer notre volonté et notre indépendance », a-t-il déclaré.
Depuis le rappel au pouvoir de Heydar Aliev en 1993, l’Azerbaïdjan n’a pas cessé de manifester sa volonté d’indépendance en maintenant une politique d’équidistance vis-à-vis des puissances. Le pays a remporté depuis lors de grands succès économiques, mais il est toujours en état de guerre malgré l’armistice de 1994. Au Karabagh, des escarmouches ont lieu quasi quotidiennement le long de la ligne de cessez-le-feu, dite ligne de contact.
Le problème du Karabagh et la présence de près d’un million de réfugiés des territoires occupés par les Arméniens pèse sur ce pays. Le président azerbaïdjanais, qui souhaite une solution pacifique, ne peut accepter que la situation reste indéfiniment gelée et il fera tout pour parvenir à une solution. Le ministre des Affaires Etrangères russe, Serguei Lavrov, se trouvait le 1er septembre à Bakou pour tenter de débloquer l’impasse des négociations. La Russie est en effet embarrassée par la persistance de ce conflit impliquant deux pays proches, géographiquement et par l’histoire.
L’Azerbaïdjan se trouve, au propre et au figuré, à la croisée des chemins. Il a réussi à maintenir, envers et contre tous, un équilibre politique, alors que sa cohésion et son intégrité territoriale sont menacées. Situé dans une zone de turbulences dont les richesses sont convoitées, il reste un pays ouvert au monde extérieur où se marient harmonieusement les cultures européennes et orientales. C’est une oasis de tolérance religieuse où cohabitent en bonne intelligence l’islam, le judaïsme et le christianisme. L’Azerbaïdjan défend des valeurs qui sont les nôtres.
Il est temps que l’Europe tienne compte de ces réalités et accepte l’idée de traiter sur un pied d’égalité les pays auxquels elle propose un partenariat.
Jean Perrin