Si la Russie exerce une forte influence à ses frontières occidentales et méridionales, son hégémonie reste fragile à l’heure de la crise ukrainienne. De nombreux États de la région, notamment le Kazakhstan, revendiquent leur autonomie, attestant la thèse d’un monde de plus en plus multipolaire.
Glacis stratégique, États satellites, chars russes prêts pour une invasion imminente… si la rhétorique des médias occidentaux emprunte aisément à celle de la guerre froide lorsqu’il s’agit d’évoquer la crise diplomatique entre les États-Unis et la Russie, elle ne doit pas pour autant faire illusion sur la réalité des tensions internationales qui se jouent aux frontières de l’Ukraine.
Si la Russie entend défendre sa sécurité et sa souveraineté dans la région, il n’est pas certain qu’elle entretienne toujours des visées impériales dans la région. « Je ne crois absolument pas à une Russie immaîtrisable, impérialiste, expansionniste » rappelait l’ancien premier ministre français Dominique de Villepin à l’antenne de France Inter le 8 février dernier.
Les limites de l’expansionnisme russe
D’après une étude du Centre Levada de Moscou, indépendant de l’État, la majorité des Russes ne souhaiterait pas d’une guerre avec l’Ukraine. Vladimir Poutine, dont la popularité a fortement reculé ces dernières années passant de 73% à 20% en deux ans, n’aurait donc aucun intérêt électoraliste à entrer en guerre avec ce pays qui a longtemps revendiqué son autonomie et son attachement à l’Europe. Sans compter qu’en 2020, les dépenses militaires de la Russie représentaient moins de 8 % de celles des États-Unis. Si Poutine affiche ainsi un refus de principe face à l’éventuelle accession de l’Ukraine à l’OTAN et effectue régulièrement des démonstrations de force à travers une présence militaire grandissante, il souhaite avant tout éviter un conflit armé.
La thèse de la mainmise de la Russie sur ses pays frontaliers reste séduisante pour qui voudrait voir dans la situation actuelle un contexte de guerre larvée dans un monde bipolaire. Mais elle ne doit pas faire oublier non plus l’existence d’une mosaïque de pays composée d’un certain nombre d’États puissants et émergents à la fois en Europe de l’Est, en Asie centrale ou dans le Caucase et qui entendent bien défendre farouchement leurs frontières et leur autonomie vis-à-vis du grand frère russe. Le conflit dans le Haut-Karabakh, opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans la région du Caucase en 2020, a d’ailleurs révélé les limites de la présence russe et l’influence grandissante de la Turquie dans la région.
Des États comme le Kazakhstan entendent jouer un rôle
En Asie centrale, la crise politique du mois de janvier au Kazakhstan – qui a pris de cours l’ensemble des analystes tant cet État se distingue depuis son indépendance en 1991 par sa stabilité politique, sa population éduquée et un PIB relativement élevé (25 600 dollars) – a entraîné le déploiement sur place de 3000 soldats de l’OTSC afin de protéger les infrastructures du pays prises pour cibles par des groupes armés.
Parmi le contingent de l’Organisation du traité de sécurité collective, un certain nombre de soldats russes, qui ont fait dire, à tort, que la Russie « envahissait » le Kazakhstan. Le chef de l’État, Kassym-Jomart Tokayev, a rappelé jeudi 17 février que les soldats russes avaient quitté le pays à la mi-janvier et que les frontières du pays étaient « pleinement définies et fixées » et ne seraient pas remises en question. Le Kazakhstan, qui avait la présidence tournante de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) en 2010, manifeste régulièrement sa volonté de jouer un rôle de pacificateur dans la région, mettant en avant une politique étrangère dite multivectorielle et rappelant la notion d’ « eurasisme » propre à de nombreux États dont les racines européennes et asiatiques sont entrelacées et indissociables.
Ce multilatéralisme affiché qui permet à certains États de dialoguer avec la Chine, la Turquie, la Russie et des pays européens révèle la complexité des alliances et des rapports de force qui se jouent dans la région et montre que la sécurité de cette dernière ne repose plus simplement sur la force militaire de la Russie. Le départ de Vladimir Poutine du pouvoir en 2024 pourrait enfin éroder l’influence du pays si une instabilité politique devait s’en suivre, et laisser la place à de nouvelles puissances régionales de premier plan.